Lasaraleen retint une grimace lorsque les doigts épais de la servante allèrent se glisser sans délicatesse dans ses cheveux épais. La grossièreté des gestes de l’autre femme lui paraissait tant inacceptable qu’elle se sentait presque offensée par ce manque de considération pour son confort personnel. Il y avait sans doute pire sensation dans la vie qu’un nœud récalcitrant, mais au cas où vous ne l’auriez pas deviné : Lasaraleen Drinian était habituée au luxe et n’était pas adepte des phrases toutes faites telles que : « ça fera l’affaire » ou pire encore, « laissez donc, je m’en contenterai ». Évidemment. Quel intérêt y avait-il à descendre d’une haute lignée si ce n’était pas pour jouir des privilèges éhontés qui en découlaient ?

Le mépris pour les basses choses marquaient sa classe, c’était ainsi. Il fallait toujours plus. Toujours mieux. Elle apposa donc l’étiquette de greluche maladroite à la pauvre coiffeuse, une narnienne grassouillette et aux cheveux clairs qui n’avait vraisemblablement jamais utilisé un peigne en ivoire de sa vie. Malgré tout, elle cachait son mécontentement par une expression composée, altière, presque aveugle à la présence de l’autre femme. Comme si elle n’était qu’un pantin avec des doigts de chair au bout de ses membres désarticulés. Néanmoins, Lasaraleen accordait si peu de considération à ceux qu’elle nommait « les petites gens » que c’était tout comme.

En temps normal, se faire coiffer lui permettait de se recentrer. De prendre un peu de temps pour réfléchir. Il fallait dire que tout allait si vite autour d'elle que parfois, elle se sentait quelque peu dépassée. Qu'est-ce que ça serait si elle était aussi idiote que certaines femmes de son entourage... Contrairement à ce que l'on pourrait croire, être noble n'était pas de tout repos. Il fallait sans cesse appréhender les coups bas et les trahisons, supporter les mesquineries discrètes avec un sourire hypocrite et surtout, se montrer irréprochable en toutes situations. Cette dernière contrainte commençait à agacer Lasaraleen, d'autant plus que son incapable de coiffeuse se démenait sans aucune douceur avec un nœud particulièrement hirsute.

La servante murmura un "pardon, madame" et Lasaraleen leva les yeux au ciel en imaginant son teint écarlate de honte. Cette pauvre fille n'avait décidément rien pour elle. Elle passa les minutes qui suivirent à maudire les narniens et leurs gênes vraisemblablement défectueux. Alors que ses réflexions devenaient passablement scandaleuses, une autre servante passa timidement sa tête dans l'interstice entre le mur et la porte :

- Madame, vous êtes demandée au Palais. La famille Miraz est arrivée.
- Vous pouvez leur dire que j'arriverai en retard ET mal coiffée. se contenta t-elle de répliquer en regardant ses ongles rongées.

Pas très élégant, pour une aristocrate.

Cependant, une bonne demi-heure plus tard, elle était fin prête, débarquant dans le Palais comme si elle n'y était pas attendue depuis quelques temps déjà. A sa droite, elle pouvait apercevoir son amie Esméralda. Le terme était sans doute exagéré, mais la jeune femme s'approchait le plus de ce qui pouvait être considéré comme une amie. Disons qu'elles s'entendaient bien. Lasaraleen ignorait tout des raisons de la visite des Miraz et était impatiente de glaner quelques histoires croustillantes.

- Esméralda. Pardonne mon retard, j'étais occupée. Une urgence capillaire, déclara t-elle avec le plus grand des sérieux.

Les rares personnes qui fréquentaient Lasaraleen avaient l'habitude que chaque événement insignifiant prenne une tournure dramatique pour la jeune femme.

- Qu'est-ce qui nous vaut votre visite ? J'ai entendu dire que les choses étaient tendues au niveau des frontières narniennes... Si vous êtes ici, c'est sans doute important.

Lasaraleen avait toujours cruellement manqué de subtilité. Ce n'était pas une qualité que l'on développait en restant enfermée dans des laboratoires à longueur de journée.