Une chaleur torride dévorait les hautes herbes des côtes saillantes de l'océan oriental. Assoiffées, presque desséchées, elles baissaient la tête, ployaient le genou, comme Jason l'avait fait quelques semaines auparavant devant son cousin, au moment du couronnement. Caspian siégeait. Il avait récupéré ce trône qui lui revenait de droit, non sans l'aide d'Aslan, des anciens rois et reines, des narniens, et dans une certaine mesure, des enfants Miraz, qui, trahissant leur père, avaient offert à leur cousin, un répit, un deuxième souffle dont il avait alors profondément besoin. Du moins, c'était ce que se répétait Jason pour se donner bonne conscience. Pour se dédouaner du fait d'être la progéniture d'un dictateur. Pour ne pas culpabiliser d'avoir planté un poignard dans le dos de celui qui l'avait élevé et, d'une manière, offert une forme d'amour, singulière certes, mais existante.
Jason pensait trop.
Il le savait pertinemment, cette fâcheuse tendance était l'une de ses pires faiblesses. Elle le conduisait à prendre de mauvaises décisions et à se mettre dans des situations délicates.

S'émancipant de cette toxique méditation, Jason préféra se concentrer sur le paysage. Les côtes narniennes étaient un endroit remarquable. L'océan oriental scintillait sous la lumière ardente du soleil alors à son zénith. Une très légère brise, qui rendait l'air respirable et la chaleur supportable, soufflait délicatement, comme une douce mélodie berçant un enfant prêt à s'abandonner au monde des songes. Le cadre semblait transpirer la paix, une émotion que Narnia n'avait plus connue depuis des années. Cette sérénité, cette atmosphère paisible... Jason inspira. Il ne manquait plus qu'Esméralda à ses côtés, sa demi-soeur, devenue son amante, pour que tout soit parfait. Si tel avait été le cas, il aurait certainement souhaité que cet instant de quiétude ne finisse jamais.

Un craquement se fit entendre au loin. Son rendez-vous était sans doute en train d'arriver. Edmund Pevensie ferait son apparition d'une seconde à l'autre. Pour une première rencontre. Jason se sentait un peu nerveux. Dans son enfance, il avait baigné dans les légendes d'autrefois, dans les récits retraçant les aventures des rois et reines de l'ancien temps. Et le telmarin admirait grandement le roi Edmund, qui avait su reconnaître et réparer ses erreurs passées. L'idée de le rencontrer physiquement lui procurait un mélange d'angoisse et d'excitation. Pourtant, les deux jeunes hommes avaient déjà échangé, via ces missives marquées par le sceau de la guerre. Lorsque Jason espionnait son père, il n'écrivait qu'à deux personnes pour retranscrire les dires d'Erzran Miraz : sa soeur - qui devait transmettre le message à Caspian - et Edmund. Il ignorait pourquoi il avait éprouvé le besoin d'espionner directement pour le compte du londonnien, mais sans doute cela s'expliquait-il par la volonté d'éviter qu'une seule personne dispose de l'ensemble des informations. Il avait bien vu, avec son père, vers quoi cela pouvait conduire.

Les bruits de pas s'approchèrent et Jason tenta de se donner un peu de contenance. Il scruta un instant les ruines de Cair Paravel, se rappelant qu'un jour, le garçon qui allait le rejoindre dans quelques secondes, avait gouverné depuis ce haut lieu. Cela lui donnait le vertige...
Reportant son attention vers l'océan, il se surprit à sourire. Il avait hâte d'accueillir le Juste.